Kitten. ft Mee Eun

★ Journée tranquille pour la jeune renarde qui était « au chômage ». Son commerce saccagé, il lui était impossible de rouvrir avant la fin des travaux. De plus, la procédure prenait un certain temps, alors elle ne pouvait que se tourner les pouces. L’idée de partir à la recherche du criminel lui avait traversé l’esprit. Et bien sûr, elle ne ferait pas que le pister, mais peut-être le tuer aussi, car personne n’avait le droit de vandaliser le magasin de sa chère et tendre grand-mère. Mais la patience était une vertu, alors la renarde s’était résolue à son sombre dessein et préféra se calmer en nombreuses balades et randonnées.  

Alors qu’elle se baladait ce matin là au bord de mer, la jeune femme s’arrêta au niveau de l’entrée de la plage. Là, en plein soleil d’hiver se trouvait un carton. Mais ce carton n’était pas vide. Elle aperçut deux chatons, l’un contre l’autre sur des papiers journaux. Ils n’avaient sûrement que quelques jours, mais horrifiée, la renarde constata qu’ils étaient en hypothermie. Ni une ni deux, elle prit les deux chatons pour les emmitoufler dans son écharpe et se hâter de prendre un taxi.

Mais pour aller où ? Ji Yeon connaissait bien une clinique vétérinaire. Son amie, sa meilleure amie même la tenait et elle ne pouvait que aller la voir. Mee Eun n’était pas une femme ordinaire, tout comme Ji Yeon ne l’était non plus. Toutes deux des renards à neufs queues, elles se sont tout de suite trouvées, attachées l’une à l’autre pour ne plus se défaire.
Ji Yeon ne prit pas la peine de téléphoner à son amie, il était plus urgent de réchauffer les chatons qui semblaient au bord de la mort, et Ji Yeon refusa de les laisser tomber ainsi dans l’indifférence de tous. Frottant délicatement les deux petits félins, la jeune renarde leur parlait même, tout doucement. Certains pouvaient dire qu’elle était folle, mais les gumihos savent parler aux animaux, et ils les comprennent. Alors elle ignora les paroles du ahjussi pour se concentrer sur les deux boules de poils, encore inertes. Une fois arrivée en trombe et avoir payé le chauffeur, elle monta les deux marches du cabinet avant d’en ouvrir les portes à la volée. Il était encore tôt le matin, mais Ji Yeon savait que Mee Eun était là.

« Eonnie ! Eonnie ! » s’écria-t-elle en cherchant son amie du regard, les deux petits chats dans les bras contre elle.

★ Animal nocturne, Mee Eun était davantage debout la nuit que la journée. Il lui arrivait très souvent de passer la semaine à effectuer toutes les gardes de la clinique pour se reposer quelques heures seulement l'après-midi. Ce rythme lui convenait très bien. Cela lui évitait également de côtoyer du monde, de faire semblant d'être normale en se fondant dans la masse. Elle ne pouvait pas se permettre un tel comportement tous les jours de l'année, tout simplement à cause des conventions sociales. Et si elle voulait véritablement passer inaperçue dans la grande ville de Busan, elle n'avait d'autre choix que de s'y plier. Mais elle se permettait tout de même des nuits de garde environ une semaine tous les deux mois. Des fois davantage lorsque ses employés ne pouvaient pas s'y plier.

En l'occurrence, cette jolie femme venait de passer la nuit entière auprès des animaux de la clinique. Étant Gumiho, elle pouvait communiquer avec eux pour son plus grand plaisir mais également celui de ses bêtes. La clinique devait son succès au bons vétérinaires qu'elle avait décidé d'employer, mais aussi et surtout car les animaux se sentaient bien. Pour leurs propriétaires, la raison était inexplicable. Mais Mee Eun savait qu'avec un tel pouvoir les animaux ne pouvaient que se sentir aidés et véritablement compris. La nuit était passé rapidement puisque deux ou trois propriétaires l'avait appelée et étaient venus en urgence. L'hiver qui prenait doucement ses marques à Busan n'était jamais de bon augure pour les bêtes.

Adossée contre un mur et discutant avec un chien qui s'était fracturé une patte, elle entendit une voix bien familière crier dans la clinique. Cette voix elle pouvait la reconnaître entre mille autres :  Ji Yeon. Sa meilleure amie, celle qui la comprenait mieux que quiconque en ce monde. Ses yeux s'arrondirent et sa gorge se serra. Pourquoi criait-elle ? D'autant plus à une heure si matinale ? La renarde se releva pour se glisser dans le couloir qui menait au hall de la clinique et aperçue son amie paniqué, la cherchant du regard. « Que se passe-t-il ? » C'est là qu'elle pu voir, tout emmitouflés contre son corps, les deux petits chatons que Ji Yeon tenait. Ils semblaient en bien mauvais état. L'hiver venait encore de laisser son baiser glacé sur une pauvre bête sans défense. « Oh non... » Un soupir passa la barrière de ses lèvres. Elle comprenait et devinait que les heures de ces deux petits étaient comptés.

« Venez avec moi, tous les trois. » Mee Eun s'avança dans le couloir pour guider son amie vers une toute petite pièce. Cette dernière était prévue pour les grands incidents et contenait une couveuse, notamment pour les grands accidentés qui ne parvenaient pas à se réchauffer. « Ils ont l'air d'être en hypothermie. Leurs nez ne sont plus humides, leurs yeux semblent collés par le froid et la peau que j'aperçois par endroits est bien trop roses... C'est très mauvais. » La voix de la renarde était douce, bien que ses paroles étaient dures. Mais elle ne pouvait pas mentir sur l'état de ces animaux, et encore moins à son amie. Cela faisait une centaine d'année qu'elle s'était établie en tant que vétérinaire, dès lors que les Hommes ont commencé à avoir de nombreux animaux de compagnie simplement pour passer du temps avec et non plus seulement pour la chasse, l'amusement ou même le travail. Aussi, elle était devenue plus que douée dans son domaine. « Où les as-tu trouvé ? Ils semblent si jeunes... quelques jours à peine. Et en manque de nourriture. J'imagine qu'ils sont affamés. » Leur peau rosie par le froid étaient collée à leurs os. Qu'avaient-ils bien pu endurer ?

Son coeur se serre, la gorge serrée, le coeur qui ne peut ralentir sous le coup de la panique et de l’inquiétude. La plus jeune renarde suit son aînée jusque dans la petite salle où elle dépose les chatons avec grande délicatesse dans la couveuse. Leur yeux n’étaient même pas encore ouverts…Les lèvres serrées en une mince ligne, Jiyeon se contente d’opiner aux mots graves de son amie. Elle décolle ses yeux des deux boules de poils pour regarder son amie. « Au bord de la plage. Je me promenais et ils…ils étaient dans un carton. J’imagine qu’ils ont été débarrassés par le propriétaire qui n’en voulait pas… » sa voix mourra dans l’espace clos, comme si elle avait peur de réveiller les deux animaux qui peinaient à se mouvoir dans la couveuse.

Ses poings se serrent, les joints de ses mains devenant blancs à force de serrer ses doigts. Néanmoins, elle était convaincue qu’elle avait fait le bon choix, la bonne action. Qui sait ce qu’ils seraient devenus si elle ne les avait pas trouvé ? Et que dire de tout ces passants qui avaient dû passer devant eux sans lever le petit doigt ?

Des tonnes de sentiments traversaient la tête de la jeune femme. En ces cents années sur cette Terre, la Gumiho était encore bien naïve sur la nature des Hommes. Pourtant elle avait bien entendu parler des histoires atroces que sa grand-mère lui avait raconté. Les Hommes qui se croyaient supérieurs à la Nature…Qui détruisent et piétinent leur seul refuge. Même si elle savait pour sa condition de « Mangeuse d’hommes », la renarde était bien loin d’avoir trempé ses lèvres de sang humain. Mais la colère culminait déjà son esprit. À tel point que ses yeux bruns prirent une toute autre couleur: un jaune ambré, des pupilles fendues. Les yeux du renard. Elle devait se calmer. Ce qui était fait était fait. Ces chatons étaient en sécurité désormais. Elle lâcha un soupire avant de se masser les tempes et de reprendre la voix plus ferme pour aussi que ses yeux redeviennent normaux.

« Ils s’en sortiront ? »

Beaucoup de personnes pouvaient se demander pourquoi elle était aussi retournée pour deux chats abandonnés, mais les Gumiho étaient des êtres rattachés à la Nature, ils étaient eux-mêmes originellement des renards, des animaux, et la détresse animale était un sujet dont elle ne pouvait rester insensible.

« Je paierai les soins, peu importe ce que tu dois faire, mais je paierai » assura-t-elle, une main posée sur la paroi de la couveuse, ses prunelles posées sur les deux chatons.

★ Son amie est jeune, bien plus jeune. Un demi siècle les sépare, ce qui explique sa sensibilité accrue face aux événements durs de la vie et face aux abominations des Hommes. Ses yeux ne se détachent pas des deux chatons alors qu'elle les pose délicatement dans la couveuse. Mee Eun déverse des mots plus durs les uns que les autres, ne cachant pas que le pronostique vital de ces pauvres bêtes est engagé. Ils étaient maigres, malades, affamés et sans doute déshydratés. Un soupir passa ses lèvres juste avant que Ji Yeon ne tourne les yeux vers elle pour lui répondre. « J'imagine oui... » De nombreux bébés étaient chaque jour abandonnés par des propriétaires d'animaux qui ne voulait pas assumer la descendance. Les Hommes sont affreux. Ils traitent les créatures légendaires de monstres alors qu'aucune d'entre elle ne laisserait à son sort une bête sans défense. D'autant plus les Gumihos, si attachés à la nature et à tout ce qui la constitue. Comme le lui avait dit Saera bien des siècles plus tôt : « Ceux sont eux, les monstres ».

La colère qui montait en Ji Yeon était pleinement compréhensible. Les poings serrés, les yeux ambrés... La plus âgée ne connaissait que trop cette colère. Sa main vient se poser sur le bras de son amie, délicatement, comme le souffle d'une brise en été. « J'aimerais te dire oui... Mais je l'ignore. » Ils avaient subit bien trop pour un si jeune âge. Mee Eun a pu voir au long de sa carrière un grand nombre de cas similaires. Trop peu de chatons en ressortaient vivants... Un nouveau soupir lui échappa alors que la jeune renarde se proposait de payer tous les soins. Ses yeux ne se détachaient plus des deux frêles bêtes, la main collée contre la paroi de la couveuse. Son grand cœur était une de ses plus grandes qualités, mais également une de ses plus grandes faiblesses. « Non. Ne t'en fais pas pour ça. La clinique est suffisamment fructueuse pour financer leurs soins. Mais si tu y tiens, tu peux payer tout le consommable. » Elle savait qu'ainsi Ji Yeon se sentirait plus impliquée. Plus en charge de ces deux boules de poils.

La renarde s'avança près de la plus jeune, attrapant ses épaules en douceur pour la décoller de la couveuse. « Pour le moment, le plus important est de les réchauffer. Cela va leur permettre de remettre correctement en marche leur système sanguin et, par répercussion, tout leur système interne. » Les deux chatons étaient allongés dans la couveuse, les yeux toujours collés par le froid et la peau toujours aussi rose. Pour maximiser leur chance de survie il fallait procéder par étape : les réchauffer, les nourrir, les soigner. Puis répéter les deux processus à intervalles plus ou moins régulières. « On va tout faire pour les sauver. Je te le promet. » Mee Eun lâcha les bras de son amie. Cette dernière allait lui être d'une grande aide avec ces petites bêtes. Sa main se posa ensuite sur sa joue glacée. Si les chatons étaient gelés, la peau de la jeune renarde l'était tout autant. Elle n'avait pas pensé à elle-même. Pas un seul instant. Juste à sauver ces orphelins en les arrachant à leur sort funeste. Sa meilleure amie était d'une bonté extraordinaire.

Ses yeux passaient de Ji Yeon à la couveuse. Tant qu'ils n'iraient pas mieux son inquiétude resterait sans doute à son paroxysme. Et sa colère, également. « Je vais nous chercher des boissons chaudes. Que veux-tu ? » Elle laissa un silence avant d'ajouter : « Je te laisse avec eux. Ils ont l'air plus paisibles lorsque tu es là, et lorsque tu leur parle. » Ce qui étaient vrai. A l'instant où Mee Eun avait décollé sa cadette de la vitre, de petits cris inquiets s'étaient élevés dans la pièce. Un sourire tira ses fines lèvres. Les animaux étaient des êtres innocents, qui savaient reconnaître le bon et le mauvais sur cette terre. Tout du moins la plupart du temps. La renarde ne disparu que cinq petites minutes, ramenant les boissons chaudes entres ses mains. « Une fois qu'ils seront réchauffés, nous leur donnerons du lait pour nourrissons. » Elle offrit la tasse à son amie en ajoutant : « Pour l'heure, explique moi pourquoi tu es si matinale aujourd'hui ? Et commence avance l'enquête sur la boutique de ta grand-mère ? Tu avais rendez-vous avec un avocat, je crois. » Ji Yeon avait tant de choses à affronter dans sa vie personnelle, et elle était si jeune pour tout ça. Au même âge, Mee Eun était incapable de vivre par elle-même. Elle espérait au moins être un véritable soutiens pour sa meilleure amie.

L’Homme était bien capable de choses dont les créatures comme les Gumihos ne pouvaient supporter. Et chaque jour, elle était persuadée qu’il ne changerait jamais. Jiyeon soupire avant de se raviser et d’acquiescer aux mots de sa meilleure amie. « J’y tiens, je veux qu’ils s’en sortent ». Dit-elle avec fermeté. Plongée dans ses pensées, la belle se décolle de la couveuse avant de croiser les bras. « Un thé s’il te plaît ».

Et pendant ces cinq minutes, la renarde ne quittait pas des yeux les deux boules de poils qui remuaient plus qu’à leur arrivée, ce qui la soulagea. Lorsque son amie revint, elle remercia cette dernière pour la boisson, et ce n’est que lorsqu’elle tint la tasse entre ses mains qu’elle sentit combien elle avait froid. Ne pas penser à soi, juste à ces deux petites bêtes laissées à leur sort dans ce froid intense. Buvant une gorgée du breuvage brûlant, elle posa son regard sur Mee Eun. « D’habitude je me promène en forêt, mais il faisait bien trop froid, alors j’ai préféré passer par la plage. Je suis plutôt matinale tu sais. » expliqua-t-elle.

Après tout, elle avait été habituée à aller dans les montagnes avec sa grand-mère récolter leur plantes et autres ingrédients indispensables pour leur commerce. Bien qu’elle y allait maintenant seule, Jiyeon ne se levait jamais au delà de sept heure du matin. Sa grand-mère lui avait tout appris, alors elle pouvait se débrouiller seule.
Lorsque la vétérinaire parle de son avocat, son nez se plisse avant de soupirer. « Ça avance. J’aurais bien essayé de retrouver ces idiots et de les tuer de mes mains, mais…il ne vaut mieux pas que ça se finisse ainsi. » Elle reprit une gorgée de son thé avant de poursuivre. « Oui, cet avocat est un ami à ma grand-mère. C’est aussi un gumiho au passage. Rhee Sai. Un vrai…pfff. Je ne sais pas trop. Je suis à peine rentrée dans son bureau qu’il m’a traitée d’impolie parce que je ne savais pas qu’il était un gumiho, et donc ça m’a intriguée. »

Et la renarde n’avait pas été douce en retour. Impolie elle ? Non mais il s’était regardé ? Quel renard mal léché songea-t-elle. « Mais enfin, il va s’en occuper rapidement. Et l’assurance va bien évidemment tout dédommager. Je n’ai plus qu’à attendre de faire les travaux. »

En attendant, tous les produits précieux avaient soigneusement été rapatriés chez elle, là où personne sauf sa grand-mère et elle pouvaient y accéder. « Et puis j’ai songé à faire un peu de rénovation, donc au final il n’y aura que ça à payer. » Un silence plane dans la pièce. Intriguée par ce silence, Jiyeon relève la tête pour regarder sa meilleure amie. « Un problème ? Tu as l’air pâle. »

★ Un cœur si généreux et si tendre se devait d'être protégé de la monstruosité des Hommes. Mee Eun aurait aimé protéger son amie du monde entier, mais elle n'était pas une renarde guerrière. Elle n'était qu'une six-centenaire qui tentait de gérer au mieux sa vie ainsi que ceux qu'elle aime. Un hochement de tête lui répondit et évidemment Ji Yeon ne démordrait pas sur les frais. Aussi, la brune se contenta d'aller chercher du thé pour réchauffer les mains de son amie ainsi que leurs papilles. Les questions dévalèrent ses lèvres, mais la seconde renarde la connaissait parfaitement, aussi elle lui répondit sans détours. « Je sais. Mais la plage n'est pas à côté et le jour est tout juste levé. Mais je suis heureuse. Ils ne pouvaient pas trouver meilleure sauveuse. » La première question était répondue, il lui restait encore à en apprendre plus sur la situation de la boutique, ainsi que ce que son avocat en pensait. La plus âgée était bien placée pour savoir ce que tenir une boutique demandait.

Les explications arrivèrent d'elles-mêmes, sans qu'elle n'ait a réitérer sa question. Un rire lui échappa alors qu'elle parlait de vouloir tuer ces Hommes, tout en se raisonnant de ne pas le faire. Le jeunesse de sa meilleure amie faisait également sa fougue, chose que Mee Eun appréciait chez elle, parmi tant d'autres. Mais son sourire s'évanouit alors qu'elle lui révéla le nom de leur avocat. Rhee Saï. Il était donc de retour ? Que faisait-il ici ? Pourquoi était-il avocat ? Mee Eun avait un millier de questions. Tant, qu'elle n'écoutait plus que d'une oreille le reste de l'histoire concernant l'impolitesse du Gumiho ainsi que les remboursements des travaux. La brune venait de partir loin, très loin de la clinique. Elle était à nouveau à l'ère Joseon, aux côté de celui qu'elle pourrait considérer comme son premier amour. Celui qui ne meurt jamais dans notre cœur. La renarde n'avait pas même remarqué être allée si loin dans ses souvenirs avant que la plus jeune ne lui pose à son tour une question. « Comment ? » Mais elle avait bien entendu ce qu'elle venait de dire. Avait-elle un problème ? Pouvait-elle considérer Saï comme une problème ? Peut-être...

Mee Eun était aussi pâle que sa blouse. Son amie avait raison. Elle cligna des yeux et sembla revenir sur terre, prenant quelques gorgées de thé avant d'articuler : « C'est Saï... » Cela n'avait que peut de sens. Peut-être que Ji Yeon n'y comprenait pas grand chose. Après tout, la plus âgée était toujours restée relativement secrète sur les deux cents premières années de sa vie. Celles où elle se nourrissait d'Hommes comme le raconte les légendes, celles où elle avait un compagnon avec qui elle aurait pu vivre l'éternité, celles où tous les siens brûlèrent dans les flammes d'un village en colère. Elle réalisa que même sa plus proche amie ne la connaissait pas si bien qu'elle pouvait l'imaginer. Son cœur se gonfla de tristesse, alors qu'il l'était déjà de regrets et de culpabilité en pensant à son amour passé. D'un autre côté, Mee Eun appréciait que la gumiho ne pose pas de question et la laisse s'exprimer d'elle-même. Elles avaient pratiquement toujours fonctionné de cette manière. Cependant, à cet instant, elle pensais bien lui devoir quelques explications. « Ton avocat, Rhee Saï, je le connais très bien. » La renarde baissa les yeux sur son thé déjà à moitié vide. Cela était si lointain et pourtant tous les souvenirs lui revenaient en pleine figure avec une force vive et douloureuse.

« Je vais te raconter une histoire. » La brune posa sa tasse et se racla la gorge. « Une gumiho vivait à l'ère Joseon avec nombre de ses semblables. Ils étaient heureux. Elle avait trouvé un compagnon, un autre gumiho, qu'elle chérissait plus que tout au monde. Ils s'aimaient. » Ses yeux se posèrent sur la couveuse avec les deux pauvres chatons qui semblaient se remettre lentement de leur affreuse aventure. Elle se dirigea vers un placard d'où elle récupéra du lait en poudre. « Mais ils se nourrissaient d'Hommes, laissant jour après jour la colère naître et grandir au sein de la population. Ils ignoraient à quel point cet haine était forte et qu'un jour, les chasseurs seraient les chassés. » Sa voix était calme et lente. Ses mains s'affairaient à l'intérieur des placards pour y trouver des biberons pour nourrissons ainsi qu'un chauffe biberon. « Les Hommes ont mit le feu à la forêt. Les gumihos ont brûlé. Tous. Sauf deux : les deux amoureux. L'un était en chasse, bien loin de la montagne. L'autre s'est enfuit, car le lui ont demandé. C'est là que leur chemin s'est séparé. » Elle se racla la gorge avant de mettre en marche le chauffe biberon. « Saï ignore que je suis en vie... » Une larme dévala sa joue, bien qu'elle ait tenté de la retenir. Son cœur avait gardé une place pour lui, quelque part, sans jamais imaginer qu'un jour il pourrait à nouveau la remplir. Et voilà qu'il était l'avocat de sa meilleure amie !

L’atmosphère avait bien changée à la mention de l’avocat de la belle. Et cette contrariété se voyait sur le visage de sa meilleure amie. Le thé s’était refroidi légèrement, mais il paraissait glacial sur le bout de ses doigts lorsque la vétérinaire mentionna qu’elle connaissait très bien son avocat. Jiyeon était surprise, sa bouche s’étant légèrement ouverte alors que ses sourcils froncés montraient son incompréhension. Le monde était-il si petit ? Mais les explications ne tardèrent pas à arriver. Pour ainsi dire, Jiyeon connaissait mal, voir pas du tout le passé de sa meilleure amie qu’elle considérait comme la plus tendre des siens…Il fallait croire que tout le monde avait une partie sombre que l’on cherchait à enfouir.

Bouche bée, Jiyeon posa la tasse de thé après avoir écouté toute l’histoire. « Je vois…Je ne lui dirai rien te concernant. » ajouta-t-elle. Après tout, ce n’était pas une chose à faire pour les deux concernés. Jiyeon n’appréciait guère se mêler des histoires des autres, et visiblement celle-ci causait encore de la peine et de la culpabilité à la plus âgée des gumihos. Jiyeon se leva pour rejoindre sa meilleure amie, posant une main compatissante sur l’épaule de cette dernière. « Eh bien…si ça peut te consoler, il se porte bien. Il a vraiment bien réussi dans cette vie…J’ignore comment il était à ce moment là, mais je pense qu’il aime plus son travail que les gens. » dit-elle avec un sorte de sourire en coin puis tourna la vétérinaire de sorte à ce qu’elle lui fasse face. « C’est une histoire d’amour difficile, je te comprends…Je ne peux pas dire que ce que tu as fait était la meilleure solution…mais si tu le croise un jour, avoue-lui simplement ce qu’il se passait à ce moment là. Je suis sûre qu’il comprendra. »

Enfin elle l’espérait. Ce renard mal léché pourrait très bien briser le coeur de sa meilleure amie, et cette fois ce serait elle qui brisera ses os. Peu importe le passé de Mee Eun, Jiyeon ne supportait pas que son amie souffre. Elle avait toujours été celle qui défendait la vétérinaire face à des personnes rudes ou qui mettaient la vétérinaire mal à l’aise. A ses yeux, Mee Eun était la tendre et douce femme, et quand bien même son passé de mangeuse d’hommes, cela ne changeait en rien de ce qu’elle pensait de cette dernière. « Tout ira bien. Ok ? » Dit-elle en souriant à son amie avant qu’elle ne soit interrompue par des miaulements de plus en plus insistants.

★ Sa meilleure amie resta silencieuse alors que les mots dévalaient les lèvres de Mee Eun. Cette histoire était digne de la plus grande tragédie amoureuse. Deux personnes s'aimant véritablement, séparées par une catastrophe sans nom. La larme qu'elle avait tenté de retenir dessiné un chemin sur sa joue. Comment pouvait-il encore la chambouler après tant de siècles ? Elle inspira une grande bouffée d'air avant de mettre le premier des récipients dans le chauffe biberon. La tasse de thé de la plus jeune trouva place non loin de la sienne et les mots qui sortirent de sa bouche étaient aussi bienveillant que rassurant. La renarde n'en demandait pas tant, mais cela comblait son cœur de constater qu'elle se postait naturellement de son côté, affirmant qu'elle ne dirai rien à Saï. Ji Yeon s'approcha, posa une main douce et réconfortante sur son épaule. Ce simple geste, tendre et anodin, lui apportait une joie immense. Celle de constater qu'elle n'était pas seule et qu'elle avait quelqu'un sur qui se reposer et avec qui partager sa douleur.

Quelques informations suivirent, ce qui arracha un rire à la plus âgée. C'était bien Saï ! Si Mee Eun avait appris à aimer les Hommes avec les siècles, ou du moins certains d'entre eux, cela ne semblait pas être le cas du renard. Le sourire en coin de son amie en disait long, et cette dernière appuya sur son épaule de sorte qu'elles puissent se faire face l'une et l'autre. La brune répondit d'abord d'un haussement d'épaule, avant d'essayer de trouver les bons mots. « Je n'en suis pas certaine... Il est... assez spécial. Il... » Un lourd soupir passa ses lippes. « Il pense certainement que je l'ai délibérément abandonné. Son ego est immense. Je ne pense pas qu'il me pardonnerait. » Il avait été bien plus simple pour la vétérinaire de l'imaginer loin, très loin de Busan pour toujours et à jamais. Mais c'était stupide. Comment avait-elle pu croire ne serait-ce qu'un instant qu'un gumiho ne croiserait plus jamais son chemin ? Une créature quasiment immortelle ? Même après tant de siècle, elle restait incroyablement naïve. Si on pouvait nommer cela de la naïveté... En vérité c'était davantage un mensonge envers elle-même. A force de se persuader qu'une chose est vraie, on finit par y croire ; quand bien même si c'est basé sur une fausse information.

Un sourire, de nouveaux mots rassurants. La renarde avait été rarement aussi peu sûre d'elle-même. « Je l'espère... » Mais elle ne pouvait pas en être convaincue. Impossible. Comment croire que tout allait parfaitement se passer ? A présent, elle redoutait de croiser son ancien amant au détour d'une rue. Comment réagirait-elle ? Oh ! Mee Eun savait comment le renard pourrait réagir. Il lui en voudrait, il serait blessé et même sans doute énervé. 400 années à être prétendument morte dans un feu de foret, c'est long. Très long ! « Je n'ai aimé que deux personnes Ji Yeon. En 600 ans ! Et Saï... je ne l'ai jamais oublié. Comment cela pourrait-il aller ? » La brune prit une grande inspiration et de nouvelles larmes roulèrent sur ses joues. Elle les sécha rapidement afin que Ji Yeon n'ait pas à la faire. C'était à elle de jouer le rôle de grande sœur, non pas l'inverse. Sa meilleure amie était celle qui avait besoin de sa protection. Mee Eun avait toujours veillé à garder cette image de gumiho sage et calme. Mais au fond d'elle, ce n'était encore qu'un petit renard qui n'avait jamais grandi en ce monstre légendaire que les Hommes aimaient dépeindre. Ses mains tremblaient, elle ferme les yeux et l'image de Saï s'imprima derrière ses paupières. Son cœur se brisa en mille morceaux. Elle n'était pas certaine d'être prête à l'affronter. Mais le serait-elle seulement un jour ?

Le bruit de l'engin chauffant les biberons la tira de ses sombres et tristes pensées, lui arrachant même un sursaut. Là, elle touchait un domaine dont elle était davantage certaine. Les miaulements s'étaient intensifié et un rire passa même les lèvres de la renarde. « Je crois qu'ils sont assez réchauffés et qu'à présent ils réclament nourriture. » Mee Eun récupéra le premier récipient, y versa les cuillères de lait en poudre, mélangea le tout et vérifia au creux de son poignet la température. Tout lui semblait parfait ! Elle le tendit à sa meilleure amie avant de mettre le second à chauffer. « Je ne te cache pas que les nourrir va être un peu compliqué... » Elle leva son regard sur les chatons qui se tenaient à présent sur leurs pattes, cherchant où les gumihos pouvaient bien être. « Même si l'embout a été étudié pour se rapprocher d'une mamelle, c'en est pas une. De plus, ils n'ont pas mangé depuis un moment et risquent de s'étouffer s'ils avalent une trop grand quantité de lait. Ou, au mieux, de le vomir. » La renarde avait rarement affaire à de si jeunes chatons. Sur les 100 dernières années passées à soigner les animaux, elle pouvait compter ce genre de sauvetage sur les doigts de ses mains. Et, à son plus grand malheur, cela ne faisait que s'intensifier ces dernières décennies. La brune ouvrit la couveuse pour récupérer un premier chaton, le plus amaigris. Elle lui parlait avec doucement et bienveillance, caressant son frêle corps. « Je te confie déjà celui-ci. » Un sourire tirant ses lèvres, elle posa le petite être non loin de sa meilleure amie. Ils étaient dans un état des plus déplorable, mais cela semblait être en bonne voie pour eux.