A winter morning by the sea ft. Yang Sojin

Depuis quelques jours, les médias annonçaient une vague de froid sur tout le pays, mais Nari allait crever de chaud. Elle allait être la seule sud-coréenne à crever de chaud en plein mois de janvier. Ravalant sa fierté, elle dévissa la tête de son déguisement de pingouin. Aussitôt, l’air froid lui cingla le visage, lui faisant presque regretter l’atmosphère étouffante du costume. Son regard croisa celui de Sihyeon, qui avait elle aussi retiré la tête de son costume d’ours polaire et la tenait à bout de bras. Elles avaient perdu. Les déguisements étaient leur punition. Une simple partie de pierre-papier-ciseaux avait décidé de leur sort.

Nari ne tenait pas particulièrement à jouer les mascottes, elle n’avait ni peur ni honte de montrer son visage, d’associer son identité aux valeurs qu’elle défendait, mais elle acceptait généralement de se sacrifier pour la bonne cause. Cependant, ce matin-là, Sojin devait participer pour la première fois à un rassemblement officiel de l’association, et Nari aurait préféré accueillir son amie dans une tenue moins encombrante.

Elles s’étaient rencontrées en des temps plus doux, sur la plage de Haeundae. Deux sportives levées de bonne heure. Nari avait montré à Sojin quelques postures de yoga, tandis que celle-ci lui avait enseigné les rudiments du volley-ball. Ayant appris que Sojin étudiait la photographie, Nari avait sauté sur l’occasion : le restaurant cherchait justement un photographe pour le nouveau menu. On pouvait dire, en toute objectivité, que l’étudiante avait fait du beau travail. Entre les deux jeunes femmes, le courant – c’était le cas de le dire, étant donné leur passion partagée pour l’eau – passait à merveille, alors Nari avait proposé à sa cadette de prendre quelques photos pour l’association, d’abord de leurs réunions informelles dans des cafés, à l’université ou chez les uns et les autres, puis était née l’idée d’une campagne plus fournie.

Aujourd’hui, c’était le lancement d’une série de clichés sur la plage de Gwangalli, connue dans le monde entier, incarnation de la civilisation moderne avec sa vue sur le pont Gwangan, ses gratte-ciels et ses illuminations. Le thème du premier rassemblement, choisi collectivement, était le réchauffement climatique. La mise en scène devait être simple : dos à la mer, des bénévoles tiendraient des pancartes avec des phrases en coréen et en anglais, alertant sur la montée du niveau des eaux et l’acidification des océans. Nari et Sihyeon, dans leurs costumes, seraient placées de part et d’autre du groupe. Depuis que Jun s’était retrouvé au commissariat, Siwoo leur avait demandé de calmer le jeu, d’éviter les actions les plus agressives le temps que l’affaire se tasse.

Nari n’était pas certaine que la population, habituée à son confort, engoncée dans ses petites habitudes, soit prête à changer pour quelques milliers de pingouins et d’ours polaires, mais il fallait avouer que les animaux aidaient à vendre le message. Surtout aux enfants. Sur le trajet – qui lui avait semblé particulièrement long et pénible – entre son appartement et la plage, elle n’avait pas compté les doigts pointés vers elle, ou plutôt vers le pingouin, par des gamins ébahis. Elle n’avait pas non plus compté les coups d’œil méprisants des hommes et des femmes en chaussures vernies, se rendant au travail dans ces innombrables tours de bureaux dressées dans la ville comme des épines de porc-épic. Nari aussi allait au travail. Son travail, c’était cela : faire prendre conscience aux gens que leurs vies dépendaient d’un environnement qu’ils étaient en train de détruire à grande vitesse. Parfois, ce genre de travail demandait de se déguiser en volatil arctique.

Frappant dans ses mains pour se tirer de ses pensées autant que pour rassembler les bénévoles qui arrivaient au compte-goutte, Nari se retourna vers la promenade bordant la plage. Elle remarqua une silhouette délicate qui s’avançait vers le groupe et, devinant qu’il s’agissait de Sojin, lui fit signe de s’approcher. « Sojin ! Bienvenue ! »